Le Maroc vu par Mik
Voyage au Maroc Avril 2008
Nous attendons notre bateau sur le port de Sète. Il a
beaucoup de retard, et accroît encore son retard pendant la
traversée. Nous débarquons à Tanger
vers 8 h du soir, au lieu de 7 h du matin. Du coup, nous roulons toute
la nuit pour rejoindre nos compagnons venus par la route de l'Espagne
et avec lesquels nous avons rendez-vous dans un gîte au pied
du Haut Atlas, vers Oukaïmeden, pas très loin de
Marrakech.
Marrakech à l'aube est bien belle.
Première journée : un peu de repos, puis trajet
vers Agadir. Dans l'après-midi, dans Imi-n-Tanoute nous nous
trompons de direction mais - sans rien demander - nous sommes bien vite
remis sur le bon chemin par la population qui devine où nous
allons et nous indique notre route par gestes « c'est par
là ! ».
Le lendemain : cap au sud, vers Tiznit puis Sidi-Ifni. À la
pause déjeuner dans des rochers, on voit de très
gros scarabées.
Nous rejoignons la côte, baignade dans l'océan
agité de grosses vagues, puis on roule sur le sable, les
conducteurs s'amusent bien, s'ensablent un peu, sortent les sangles. On
bivouaque à l'écart de la plage, dans des dunes,
au débouché d'un oued. Le matin, le temps gris et
quelques gouttes de pluie nous incitent à
démarrer rapidement, mais le soleil revient vite.
Nous suivons une piste ce matin-là dans une
vallée sinueuse peuplée d'oiseaux
colorés (huppes, bergeronnettes des ruisseaux, traquets
à tête blanche ?), puis sur un plateau aride,
jusqu'à Tan-Tan.
À partir de là, nous nous dirigeons vers l'est,
pour rejoindre et suivre l'oued Draa. Les courses faites à
Tan-Tan nous ont donné faim.
- On mange ?
- Déjà ? Il est dix heure et demie.
- Oui, mais en France il est midi et demie... et puis j'ai faim.
- Oui, mais ça, c'est un pléonasme !
Pendant que nous mangeons, nous avons de la visite. Une voiture
s'arrête, une petite fille en descend. Elle semble avoir
environ quatre ans. Elle descend le fossé, remonte le talus,
et s'approche de Jean-Pierre et moi qui sommes les plus proches, pour
nous embrasser. Puis elle regagne la voiture dans laquelle plusieurs
hommes l'attendent. Ils redémarrent en nous saluant.
Une autre voiture s'arrête, un homme en descend et vient nous
voir. Il se présente, le caïd de la
région (sorte de préfet ?). Il nous demande
d'où nous venons, notre destination, la composition de notre
groupe, il est attendri par Héloïse la plus jeune fille de
Pierre-André et Caroline, qui joue à la dînette avec du sable, son occupation
favorite à chaque arrêt. Il nous parle de son amour pour la littérature, de sa vie ici
au Maroc et des ses séjours en France, du jour où il s'est assis
sur le trottoir devant le café où Victor Hugo écrivait, de sa
rencontre à Paris avec un Juif américain, qui était tout surpris de constater
qu'il pouvait dialoguer avec un musulman.
Il nous conseille de ne pas sortir de la piste balisée que
nous devons suivre dans l'après-midi, c'est le seul endroit
où on est sûr qu'il n'y a pas de mines. Nous ne sommes pas très loin du Sahara
Occidental, région revendiquée par le Maroc et par le peuple Sahraoui
aidé par l'Algérie.
La piste balisée mesure au moins 300 mètres de
large, mais nous en sommes quand même sortis à un moment, sans le faire
exprès. Il faut dire que suivre une piste n'est pas toujours facile : les traces de roue se divisent
parfois en plusieurs branches, ou bien disparaissent quand le terrain est dur.
On conduit un peu au jugé.
Nous roulons dans l'oued Draa, une vallée large de plusieurs
kilomètres, bordée au sud par d'imposantes falaises.
La piste se faufile parmi une végétation
clairsemée, dans le lit du cours d'eau à sec, franchissant des creux et des bosses. Nous voyons
quelques campements de nomades, quelques tentes, de grands fûts en
plastique. Comment peut-on vivre ici ?
Ce jour-là, plusieurs véhicules ont souffert, et
nous décidons de nous arrêter tôt pour leur prodiguer des soins. Notre
voiture a le pont arrière tordu, elle aura besoin d'un mécanicien pour le redresser.
Le lendemain, nous suivons toujours l'oued Draa jusqu'à la
route qui mène à Assa. Nous y faisons des courses. Chez le marchand de
légumes, tout est au même prix. On entasse dans une bassine oignons, tomates,
concombres, oranges et melon, le commerçant pèse le tout et annonce
le prix. Dire qu'en France on sépare les poivrons rouges, les jaunes et les verts !
Nous roulons direction Akka puis Tata par la route. À
l'entrée des villes, on voit des inscriptions en pierres blanches sur les collines,
toujours les mêmes mots : « Dieu, la patrie, le roi ».
À Tata, nous prenons une bonne douche, la
première depuis longtemps, puis nous mangeons un excellent couscous dans un restaurant.
Le lendemain matin, Jean-Pierre trouve un mécanicien pour
redresser le pont. En voyant les ficelles avec lesquelles celui-ci compte fixer le pont
pour le maintenir pendant l'opération, il propose une sangle.
L'artisan manifeste son approbation, et une fois le travail achevé, Jean-Pierre
la lui offre. À la question « Je te dois combien ? », l'homme
répond « Tu m'as fait un beau cadeau. »
Pendant la réparation, notre restaurateur de la veille nous
a montré des tapis, bijoux et divers objets d'artisanat, en nous expliquant leur
histoire et la signification des symboles brodés dessus. Un aide dans
l'arrière-boutique prépare du thé et
nous l'offre. Je n'aime pas les tapis ni les bijoux, et suis décidée à ne rien
acheter.
Mais l'atmosphère est plaisante, le vendeur sympathique, le
thé est bon, et je finis par me laisser tenter par un tapis que je trouve
très joli. Nous l'accrocherons au mur un jour, peut-être...
Nous repartons par une piste, vers le sud. Nous avons l'intention de
reprendre l'oued Draa vers l'est, et de le suivre jusqu'à
Mhamid. Mais à un poste militaire, la sentinelle nous dit
qu'à partir de ce
point, la piste n'est autorisée que dans l'autre sens (les
décisions des autorités sont pleines de mystères).
Il nous raconte en riant qu'un
Français lui a demandé un jour « Et si on roule en
marche
arrière ? ».
Demi-tour donc, et nous décidons de tenter notre chance plus
loin à l'est.
Nous reprenons la route, jusqu'à Foum-Zguid. À la
sortie de la ville, nous nous arrêtons pour manger au-dessus d'un oued
encaissé. Au fond, un peu d'eau est visible, c'est rare, par ici. Nous reprenons une piste en
direction du lac Iriki.
À une intersection, une sentinelle militaire nous demande :
« Qui est le responsable du groupe ? » Jean-Pierre, sans un mot,
désigne le ciel. Le militaire éclate de rire, et lui tape dans la main, ravi de
cette réponse. Il nous demande des cigarettes (désolés, on n'en
a pas), et nous souhaite bonne route.
Le lac Iriki n'a de lac que le nom, c'est un lac
asséché à fond plat.
Quelques ennuis mécaniques pour plusieurs d'entre nous
ponctuent le trajet. Les hommes peuvent s'adonner à leur
activité
favorite, tandis que les enfants courent dans le sable et ramassent de
jolis cailloux, on trouve
des fossiles, dans cette région. Ce soir-là, nous nous
arrêtons pour bivouaquer
contre un petit cordon de dunes. Le soleil couchant leur donne une
couleur chaude, puis la nuit s'installe, claire et
étoilée.
Le matin, je me réveille très tôt. Le
jour se lève avec une rapidité étonnante, on passe de la nuit noire à l'aube en
quelques minutes. Pendant la soirée nous avions observé de gros insectes
genre scarabées très plats, noir et blanc. Au matin, leurs traces de pattes sur le sable dessinent
de longues routes qui se croisent.
La route d'aujourd'hui traverse une zone très sableuse,
l'erg Chegaga. La piste n'est pas toujours visible et au moindre ralentissement, on
risque de s'ensabler.
On fait ronfler les moteurs. De temps en temps on peut
s'arrêter sur des portions de sol dur pour se regrouper.
Une voiture arrêtée au sommet d'une butte se
détache sur le ciel. Nous arrivons à sa hauteur et voyons qu'elle est
ensablée. Deux guides marocains s'efforcent de la dégager en enfonçant des herbes
sous les roues, tandis que leurs deux clientes françaises les regardent. La piste
à cet endroit permet de s'arrêter sans crainte. Nous engageons la conversation
avec l'une des femmes, tandis que nos compagnons nous rejoignent. Jean-Pierre annonce
« voilà la cavalerie » tandis que s'avancent six
gaillards de belle carrure. La femme s'écrie « Ah ! il y a le gabarit !
». La voiture est dégagée en quelques secondes, et nous voilà repartis.
Jean-Pierre aperçoit sur sa gauche un animal extraordinaire,
très gros lézard jaune paille, haut sur pattes, à l'allure
préhistorique. Il arrête la voiture, sort en courant, le contourne pour l'inciter à se diriger vers
nous, afin que nos compagnons puissent le voir. L'animal
effarouché se réfugie sur la roue avant de la voiture, puis sous le capot. Nous avons peur qu'il
se fasse attraper par une courroie ou le ventilateur. Il faut
déployer de grands efforts pour le déloger, et le pauvre
lézard s'enfuit à toutes pattes. Je n'ai pas réussi à savoir son nom.
Cet après-midi, nous nous arrêtons à
Mhamid au « Camping Paradise » tenu par un Hollandais fort
sympathique. Jean-Pierre qui a encore tordu son pont fouille dans des
débarras et y déniche des
poutres en bois dur qui lui serviront à maintenir son pont pour
le redresser
à grands coups de masse.
Guiso (à moins que ce ne soit GrosPimousse ?) observant
Caroline quelque peu décoiffée, remarque : « On a
commencé le voyage avec Claudia Schiffer, on va le finir avec un chiffon. »
S'ensuit un moment de détente bien agréable,
douche, bière fraîche, piscine, ping-pong, repas marocain cuisiné par le patron hollandais.
Ce soir, j'ai vu pour la première fois un halo autour de la
lune. C'est un grand cercle lumineux à bonne distance de la lune. Cela
existe donc ! Je prenais ça pour une expression littéraire pour
écrivain n'ayant jamais observé le ciel.
Le lendemain, le groupe se sépare : ceux qui ont encore leur
voiture en bon état continuent par la piste en direction de Merzouga. Les
autres les rejoindront par la route, sauf nous. Nous choisissons un
itinéraire qui nous permettra de remonter vers le nord sans traverser l'Atlas pour
économiser nos cardans : direction Tagounite puis Zagora et Agdz, encore la
vallée du Draa mais bien différente ici. À Agdz nous
prenons vers l'ouest une petite route qui nous ramènera à Agadir. À
l'approche de Tasla, un homme en panne d'essence nous fait signe. Nous nous serrons à trois
à l'avant de la voiture et l'emmenons jusque chez lui. Là, il nous offre du
thé, nous parle de la mine d'argent et cobalt où il a travaillé, des
tapis que sa femme tisse, de ses fils qui vont se marier. Jean-Pierre lui offre un jerrycan
d'essence, et je « parle » avec les femmes occupées
à faire la lessive. L'une d'elles m'énumère sur ses doigts les
prénoms de ses enfants, elle en a dix (déjà grands, probablement, vu son
âge). Puis elle me montre et me demande d'en faire autant. Je réponds par geste que je n'en
ai pas. Elle montre son annulaire d'un air interrogatif. Je réponds en
montrant Jean-Pierre, que si si, j'ai un mari mais pas d'enfants. «
Wallou ? » Je confirme « Wallou ! ». Elle conclut en souriant :
« Bien trrrranquille ! ». Une voisine qui était là me prend alors par la
main et m'entraîne. Jean-Pierre nous accompagne. Nous entrons dans sa maison où
deux jeunes filles assises sur des coussins sont en train de tisser et nouer un
tapis, sous le regard d'une petite fille. Rude travail, qu'elles effectuent
avec dextérité et une rapidité
impressionnante. Mais le tapis, lui, monte avec lenteur : 3 ou 4 centimètres par jour.
Notre première hôtesse vient nous
récupérer, et nous sert un tagine que nous mangeons en
compagnie du maître de maison. En
échange de l'essence, il nous propose un tapis. Nous choisissons
un petit tapis double (une zone de franges nues permet de le partager
en deux). Nous ajoutons une somme d'argent pour égaliser la
valeurs des objets
troqués, puis nous remercions nos hôtes et repartons.
À Tazenakht on voit le site de la mine d'argent et de
cobalt. Entre Taliouine et Aoulouz, c'est le royaume des arganiers, ces
arbres
épineux dont l'amande du fruit fournit une huile alimentaire
et cosmétique. On voit de nombreuses chèvres
hissées sur leurs branches
pour se nourrir des jeunes pousses et des fruits, mais il paraît
qu'elles laissent le
noyau, alors les bergers les laissent faire.
Les « coopératives féminines d'huile
d'argan » se succèdent, trop nombreuses pour que nous ayons envie de goûter le produit. J'ai lu
depuis que cette huile est une des plus chères au monde. Mais, a-t-elle bon
goût ?
Nous rejoignons Agadir puis longeons la côte vers le
nord-est. Une première nuit peu après Agadir, la suivante à Kenitra.
Nous n'avons pas cherché l'avenue de Lorraine (mon lieu de naissance), c'était perdu
d'avance. De nombreuses cigognes nichent dans cette région. Nous nous
arrêtons aussi pour regarder trois tortues sur le bord de la route. Deux d'entre elles
viennent se mettre à l'ombre de Jean-Pierre accroupi. Quand il se
relève, elles cherchent une nouvelle zone d'ombre et se dirigent vers la voiture.
Nous les éloignons de la route.
Nous arrivons aux grottes d'Hercule, près du cap Spartel, au
bord du détroit de Gibraltar. Un après-midi de détente dans un
camping fleuri et agréable, où un employé m'offre des fleurs.
Demain, nous reprenons le bateau à Tanger.
Voilà, c'est fini, on revient dans le monde habituel,
heureux de ce voyage dans ce beau pays. On y retournera !
Texte de Mik et photos de toute l'équipe